Chanfray ou Le Retour de Saint-Germain

‘Le beau a été atteint au 17e siècle et ne s’est jamais dépassé’. C’est le constat que dresse Richard ‘Saint-Germain’ Chanfray dans une interview donnée en janvier 1972 dans l’émission ‘Troisième Oeil’ (ORTF), conservée dans les archives de l’INA . La phrase est d’autant plus notable qu’elle est prononcée dans la demeure de l’alchimiste Nicolas Flamel, reconvertie en restaurant huppé.

Richard Chanfray est un artiste fantasque qui fut l’amant de la chanteuse Dalida. Il se présente aux auditeurs sous le titre du compte de Saint-Germain, cet aventurier du XVIIIe siècle qui fréquenta la cour de Louis XV tout en entretenant une liaison avec Madame de Pompadour. Homme polyvalent, lié aux grandes intrigues politiques de son temps, éblouissant les assemblées par des prodiges de salon et des connaissances qui allaient de la chimie à la musique en passant par l’histoire, Saint-Germain écrivit une légende encore perceptible de nos jours ; Casanova s’en défiait tout en l’admirant ; Voltaire l’appelait ‘l’homme qui sait tout et qui ne meurt jamais’.

Comme esbaudi par l’énormité de son propre discours, mais sans perdre son calme olympien, Chanfray prétend être un immortel (moins dans le réel que par principe) âgé de 17 000 ans et s’arroge le titre de ‘Dernier des Templiers’. Face au magicien Gérard Majax, il réalise une transformation du plomb en or, opération qu’il renouvellera en 1975 à la télévision espagnole devant une dizaine de scientifiques.

En tant qu’alchimiste, il bénéficierait d’un produit issu d’une science et d’une technique lui permettant de traverser le temps, et de se présenter sous le nom du légendaire Comte de Saint-Germain. D’aucuns appellent ce produit la pierre philosophale, Chanfray préfère le terme de ‘poudre de projection’.

Si la chanteuse Dalida ne se faisait aucune illusion quant à la mythomanie de son compagnon, on peut se demander quelle est la véritable nature du lien unissant Chanfray à Saint-Germain. S’agit – il de la simple passion enfantine de celui qui veut éternellement perdurer ; d’une inclination artistique aux illusions les plus divines ? Ou bien l’esprit de Saint-Germain a – t – il réellement habité le corps de Chanfray pendant un certain temps (et même un temps certain) faisant de lui un relais du sublime ?

De sa description de l’Atlantide à l’évocation des conquêtes martiennes en passant par le centre du labyrinthe de la cathédrale de Chartres, Chanfray puise dans l’hermétisme, la science-fiction et le New Age pour dresser un tableau fascinant, comblant les lacunes de l’histoire par la légende.

À le voir et à l’entendre, Chanfray à cultivé son éthos autant qu’il a travaillé son creuset, donnant autant d’importance à l’Oratoire qu’au Laboratoire.

Soignant ses entrées, il serait arrivé chez Dalida avec une cape noire et une chemise à jabot, lors d’une première rencontre organisée avec la complicité de l’animateur et parolier Pascal Sevran.

Sa canne – carabine tirant du 9 mm en témoigne, Chanfray ne négligeait pas non plus le ‘Bellatoire’. Un soir, il tirera même sur l’ami d’une femme de chambre qui officiait dans l’hôtel particulier de la rue Orchampt ; un événement médiatisé qui accélérera sa rupture avec Dalida.

L’Affaire de la rue Orchampt aura également pour effet de révéler au grand jour le passé plébéien de Chanfray ; son enfance à la DDASS de Lyon, son adolescence délinquante, ses 7 ans de prisons pour vol. Sans oublier son mariage secret contracté avec une jeune fille à l’âge de 19 ans.

Peut – être Chanfray nous a – t – il concocté une farce… Mais il y a brassé des ingrédients issus de la réalité tout en les liant par le mythe ; là réside, sinon son génie, au moins son charme. Cela est particulièrement perceptible dans des chansons telles que ‘Le Frimeur’, ‘Sweet My Baby Love’ ou ‘Du Gazon dans les Soucis’: Chanfray parvient à y distiller l’esprit de toute une époque et fait sourdre le fantastique de la réalité la plus banale.

Ce qu’il nous livre c’est un spectacle, au sens le plus pur et le plus subtil du terme : un spectre dans un réceptacle.

Animateur de dîners mondains, Chanfray se livrait à un numéro admirable de tables tournantes au cours duquel il dialoguait en bon copain avec d’illustres défunts.

1976, France. (Photo by Laurent MAOUS/Gamma-Rapho via Getty Images)

Un téléfilm programmé sur France 2 en 2005, Dalida, le film de sa vie, réalisé par Joyce Bunuel, évoque le compagnon de Dalida, incarné par Christophe Lambert.

Dans un focus à propos de ce téléfilm, le comédien parle du personnage mythomane et exalté qu’il interprète, en ces termes :

« Richard Chanfray est issu d’un milieu modeste. Sa mère, femme de ménage, et son père, camionneur, il préfère les oublier. Tout comme il préfère enterrer l’adolescent délinquant qu’il a été. C’est un personnage paumé, excessif qui souhaite transformer sa vie misérable en un conte de fée. Ça, c’est admirable ! Tout le monde devrait cultiver ses propres rêves, même inatteignables ! Cet homme croit tellement en ses illusions qu’elles en deviennent réelles. Orlando m’a confié qu’il était doué en tout : capable d’apprendre le piano en un mois et d’en jouer comme un pro. Il passait aisément de la peinture à la sculpture… mais ne se donnait jamais vraiment à fond. Sauf lorsqu’il séduit Dalida, là il est à 1 000 % (…) ».

Chanfray sera retrouvé asphyxié dans sa voiture sur un chemin de Ramatuelle, près de Saint Tropez en 1983, à l’âge de 43 ans : lui et sa compagne de l’époque – Paula Loos, née Guily, âgée de 51 ans – auraient succombé aux gaz du pot d’échappement raccordé par un tuyau à l’habitacle de la Renault 5, après avoir consommé des barbituriques.

Une fin mystérieuse que pourrait expliciter cette citation de Nietzsche : « on peut mourir d’être immortel ».

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