Master Gardener, un film de Paul Schrader sorti en 2022, s’impose comme une oeuvre mature qui sait prendre le temps de développer son sujet.

Narvel Roth (incarné par Joel Edgerton) est un horticulteur méticuleux qui travaille dans les jardins de la propriétaire d’une somptueuse villa (incarnée par Sigourney Weaver).
Quand il est obligé de prendre sa petite-nièce Maya (l’actrice Quintessa Swindell) comme apprentie, Narvel est confronté à des émotions qu’il avait oubliées. Maya est une jeune fille turbulente qui perturbe l’ordre de la maison et force Narvel à réévaluer ses priorités.

Sous-titrée Les Racines de la violence, l’oeuvre aurait pu s’appeler Les Graines de la Prudence car l’intrigue et l’action passent ici au second plan pour laisser la part belle à un exposé quasi encyclopédique sur la vie secrète des jardins.
Voici un aperçu de tout ce que l’on apprend au simple visionnage de ce thriller psychologique.

L’histoire des jardins
Le jardin classique impose des compositions vegétales de formes géométriques ; cercle, triangle et carré. Il est plus connu sous le nom de jardin à la française.

Le jardin paysager – dit, à l’anglaise – à été popularisé au 18 e siècle ; il adopte les formes et les courbes de la nature.
Le troisième style, le jardin sauvage, n’a de sauvage que le nom : il est composé d’une variété de plantes et d’arbustes en apparence aléatoire qui forment un écosystème favorable aux insectes et à la faune.

Les jardins ornementaux sont un phénomène récent, à une certaine époque, ces ors étaient purement utilitaires ; entre épicerie et pharmacie.

À la fin du 19e siècle, les jardins devirent la vitrine du raffinement de la haute société et un marqueur distinctif de sa richesse.
Du simple tarabiscotage de la pelle et de la faucille, la pratique devint un art qui se complexifia à travers l’émergence de l’horticulture et de la botanique.
Selon le personnage campé par Sigourney Weaver, l’argent est ‘le meilleur des engrais’. Vision partielle et partiale d’un art que le maître jardinier est le seul à connaître.
Dans Master Gardener, le jardin est avant tout une croyance en l’avenir ; l’idée que les choses évolueront comme prévu et que les changements s’oppèreront en temps voulu.

La dimension technique du maraîchage est également explorée :
Hangar de rempotage ; outils de repiquage ; tamis ; houe (il en existe 38 sortes !) ; sécateur ; pelle ; brouette ; tablier… Un arsenal qui pourrait tout aussi bien être celui d’un fossoyeur.

Terre et Eau
Un autre élément essentiel pour la plantation : le Terreau.
Les plans poussent dans un mélange organique fait de perlite, de fibres de coco, de tourbe, de mousse de sfeigne mélangée à de la terre pour former de l’humus – le meilleur terreau que l’on puisse trouver.
Les pluie matinales, quant à elles, répandent leur dioxyde d’azote et favorisent la croissance des fleurs.

À la technicité et à l’élémentarité s’ajoute une dimension mystique ; le pouvoir de guérison de la Terre. Narvel se souvient que les Spartiates dormaient à même le sol, une pratique visant à renforcer leur condition physique.
Les Méditations de la Graine
Au visionnage du film , le jardinage apparaît comme l’art le plus accessible et comme la science la plus secrète.
Tout est en fait déjà inscrit dans la graine.
Dès lors il n’y a plus à apprendre mais simplement se souvenir ; il ne s’agit plus de s’étonner devant le visible mais de sentir d’où il vient.

Chaque graine est un monde qui attend d’être libéré, une fleur qui veut goûter aux joies de l’épanouissement.
On à longtemps pensé que 150 ans était la durée de vie maximale pour un graine.
Dans les années 1950, un botaniste japonais découvre des graines de lotus viables dans la couche de tourbe d’un lac datant de l’ère glaciaire. Une portion substantielle de ces graines a germé.
Il est maintenant admis qu’une graine peut avoir une longévité s’étendant entre 850 et 1250 ans. Dans des conditions adéquates, les graines peuvent durer indéfiniment.
À la fois cailloux vivant et œil endormi, la graine est un mystère dont Narvel semble être le protecteur.

La nomenclature binominale
Chaque pays, chaque culture à des milliers de plantes différentes et autant de façon de les nommer. Au 18ième siècle, pour éviter ‘l’effet Babel’ et faire s’entendre les horticulteurs entre eux, le naturaliste suédois Karl von Linné (dit Linnaeus) accorde tout le monde sur une seule langue morte ; le latin.

Binominale signifie ‘deux noms’. Par exemple, Rubis guinosa signifie rose couleur de rouille.
On distingue donc la catégorie (ou le genre) et le nom spécifique.

Parmi les spécimens fameux qui sont évoqués, on peut citer les boutures rares de Manstera Variegata, les bulbes de Tulipes Perroquet Turriformes ou encore les Sabots de Vénus, aussi nommés Chaussons d’Aphrodite.

Les danses florales
La vie des fleurs n’est pas immobile et on découvre que la paix qui émane du végétal est surtout une intensité.
Le Nandina (domestica) – (arbuste à fleur d’extrême Orient) – dégage à certaines périodes une forte et enivrante odeur d’amande et de menthe.

Les Pavots orientaux et le Sauge à feuilles de lavandes (salvia lavandulifolia) ont le même moment annuel de floraison ; selon les conditions extérieures, il y a une sympathie ou une intolérance entre eux.

Les Hémérocalles Minarea d’automne jaunes pâles entament leur longue saison la 2e semaine de juillet. Un foisonnement de Cosmos Sunset arrive une semaine après et fait de l’ombre au première avec ses pétales safranés éclatant.
Juste avant le plein été, la palette des couleurs explose ; les Aster Vivaces s’ouvrent en une seule nuit et exhibent leur fleurs violettes et roses, pendant 38 heures, leur éclat illumine le jardin.

Autre preuve du silence retentissant des fleurs, les guerres muettes mais intenses qu’il faut parfois mener contre les envahisseurs.
Lorsque les bourgeons de Chèvrefeuilles Grimpants sont attaqués par des pucerons, la réaction de Narvel Roth prend des allures riposte militaire : Huile de nine, huile de calanja et savon pur deviennent des armes de destruction massive.

Malgré quelques moments d’éclats, Master Gardener demeure un hymne à la paix – fait d’ancrage, de silence et de fixité – dans un monde mécanique où comportements et idéologies extrêmes prévalent souvent.

Finalement, la réflexion finale de Narvel est le meilleur résumé de l’oeuvre :
Un jardin bien entretenu est un plaisir visuel. Où s’étallait le chaos disgracieux d’une végétation enchevêtrée, se dresse ce qui aurait toujours du être là, au lieu de ce qui ne devait pas y être.

Le jardinage est la manipulation du monde naturel, l’aménagement subtil du désordre :

La création de l’harmonie à l’endroit exact où elle est nécessaire.
